La leçon de confiance d’Anne Lauvergeon
Pour leur 6e forum annuel, les conseillers du commerce extérieur alsaciens ont choisi de se projeter à l’horizon 2030 avec l’aide de l’ancienne patronne d’Areva.
« L’innovation , c’est de l’hybridation. Cela veut dire faire des choses avec des gens qui sont différents. » Il y avait un certain paradoxe à entendre Anne Lauvergeon énoncer ce principe hier sous la coupole de l’hémicycle du conseil régional. Un lieu qui a surtout entendu plaider, ces derniers temps, la non-hybridation… Mais il s’agissait de réforme territoriale, alors que l’ancienne patronne d’Areva, qui fut conseillère très proche du président François Mitterrand, pensait aux entreprises et aux enjeux de l’économie française à l’horizon 2030.
Présentée avec admiration par Gérard Naudin, l’oratrice a mis les conseillers du commerce extérieur, manifestement sous le charme, dans sa poche et captivé son auditoire, non sans élégance. À ses yeux, 2030, c’est demain, le bon horizon pour décider. Mme Lauvergeon fait notamment référence aux travaux de la Commission Innovation 2030 formée au printemps 2013 à la demande de François Hollande, qu’elle a présidée et qui a rendu un rapport intitulé « Un principe et sept ambitions pour l’innovation ».
Et cela tombe bien, c’est également le cap temporel fixé par le conseil régional pour ses travaux prospectifs dont la vice-présidente Marie-Reine Fischer a résumé la teneur, au moins pour ce qui concerne la compétitivité, l’attractivité du territoire alsacien et ses enjeux sociaux, une clé importante pour les exportateurs.
Avant elle, son collègue François Loos, ancien ministre du commerce extérieur, avait rappelé les contradictions du commerce international à l’alsacienne.
Aider en même temps l’exportation et l’innovation
L’Alsace, rappelle François Loos, est championne de France en exportations calculées par tête d’habitant, soit 16 000 euros annuels, 2,5 fois plus que la moyenne nationale. Mais elle le doit beaucoup, et sans doute un peu trop, aux grandes implantations industrielles internationales dont elle regorge. Les PME proprement régionales n’exportent pas assez et ne sont pas assez nombreuses. « Il faut aider les exportateurs à exporter plus et les aider à innover. Il s’agit de mettre davantage de valeur ajoutée dans les produits », a souligné l’élu, évoquant une inflexion des aides régionales dans ce sens.
Les témoignages des entreprises de secteurs très différents les uns des autres ont toutefois montré que, même correctement accompagnés par les pouvoirs publics, certains candidats aux marchés mondiaux peinent à trouver un financement en rapport avec leurs objectifs et leurs besoins. Membres d’une institution unique au monde avec ses 4 000 professionnels nommés par le gouvernement, dont 1 500 en France, les conseillers du commerce extérieur de la France peuvent jouer un rôle discret mais déterminant. Le président des quelque cinquante conseillers exerçant en Alsace, Jean Serrats, en est évidemment convaincu. Et Anne Lauvergeon les a un peu flattés en leur demandant de l’aider à mobiliser des projets dans le cadre du concours mondial de l’innovation qu’elle a lancé, avec des dotations tirées du budget des investissements d’avenir. Une entreprise alsacienne prometteuse, Rhenovia Pharma, que dirige Serge Bischoff, en a d’ailleurs été une des premières lauréates.
« Nous ne pouvons pas concurrencer les pays émergents avec nos salaires, nos charges, nos retraites ou nos contraintes environnementales. La seule possibilité est d’être innovant en tenant compte des grandes tendances à l’œuvre au niveau mondial. On les connaît : augmentation de la population, allongement de la durée de la vie, changement climatique, urbanisation, tensions sur les ressources, développement du numérique et émergence d’une classe moyenne mondiale », a résumé Anne Lauvergeon avec beaucoup de limpidité.
Un système éducatif échouant à donner de la confiance aux enfants
Et, dans la foulée, elle estime que l’économie française a beaucoup de domaines d’excellence qu’elle peut faire correspondre (Mme Lauvergeon dit « matcher », bien sûr) avec ces tendances lourdes. « Cette créativité française, je la vois partout. Laissons-la s’exprimer… On a raté le smartphone et la tablette, on ne va pas manquer les objets connectés ! »
Mais elle admet aussi qu’il y a du pain sur la planche. Pour partie en raison d’un système éducatif trop centré sur la perfection et qui échoue à donner de la confiance aux enfants, stigmatisant beaucoup trop l’échec.
par Antoine Latham – DNA